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La renaissance psychédélique

Il y a quelque chose de tragiquement ironique dans l’histoire de la recherche sur les psychédéliques envisagée sous l’angle de la prévention et du traitement des addictions. En effet, aucun des spécialistes rencontrés dans le cadre de ce dossier ne rapporte avoir eu affaire dans sa clinique à des personnes ayant développé une dépendance aux psychédéliques. En revanche, c’est notamment dans le traitement des troubles liés à l’usage de l’alcool que les thérapies assistées par les psychédéliques se montrent les plus prometteuses – et que l’interruption des recherches s’est montrée la plus préjudiciable. On se souviendra d’ailleurs que le fondateur des Alcooliques anonymes, le pasteur Bill Wilson, était un des plus grands apologistes du LSD.

En matière de recherches, la parenthèse sur le sujet se sera étendue sur près d’un demi-siècle, mais il paraît désormais évident qu’elle est refermée : à la fin des années ‘60, les recherches prometteuses concernant l’usage des psychédéliques dans le traitement de la dépression et des troubles liés à l’usage de l’alcool sont arrêtées net pour des raisons beaucoup moins médicales que morales et politique.

Elles ont désormais repris avec une vigueur dont témoigne l’augmentation exponentielle de publications scientifiques à leur sujet. En Belgique, une première brèche a été ouverte en juin 2021 avec l’autorisation de mise sur le marché du Spravato (un spray nasal d’eskétamine) pour le traitement des dépressions résistantes. Il paraît probable que d’autres autorisations suivront dans les années à venir, tant les résultats des études de plus en nombreuses portant sur les thérapies assistées par la psilocybine, le LSD ou la MDMA s’avèrent encourageants.

De nombreuses questions se posent toutefois encore, non seulement sur les contre-indications relatives à ces traitements, mais aussi sur les moyens de les mettre en place au sein de notre système de santé. Bien des éléments caractéristiques du fonctionnement des psychédéliques vont en effet à l’encontre des pratiques les plus ancrées en matière de santé mentale, à commencer par le caractère unique ou ponctuel de la prise. Le médecin Ben Sessa préfère d’ailleurs comparer ces traitements à une opéra- tion chirurgicale plutôt qu’à une prise de médicaments.

En attendant une règlementation à venir, cette « renaissance » pose également des questions épineuses en matière de promotion de la santé : l’engouement renouvelé autour des psychédéliques crée en effet une demande sociale à laquelle aucune pratique encadrée n’est en mesure de répondre dans le contexte de prohibition actuel. Le système de santé est donc soumis à une double contrainte : ne pas aller plus vite que la musique tout en pondérant les risques sanitaires liés à la multiplication de ces pratiques non encadrées et à la dérive commerciale qui les encourage.

Bref, une fois de plus, il s’agit de naviguer entre les deux écueils de l’exubérance et de la répulsion et de parvenir à faire en sorte que la discordance entre la temporalité de la recherche et celle de sa médiatisation ne se traduise ni par des prises de risque inconsidérées ni par un nouveau backlash, qui viendrait étouffer ce que la recherche psychopharmacologique a produit de plus novateur au cours des dernières décennies.

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